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La photographie humaniste




La photographie humaniste qui s'est développée de la fin des années 1940 à la fin des années 1960, s'était assignée le double but de redonner foi en l'homme et de témoigner du "goût de vivre" ( Janine Niépce ). Depuis cette époque l'intérêt du public pour ce courant de la photographie ne faiblit pas, comme en témoignent les nombreuses expositions consacrées à ses célèbres fondateurs : H.Cartier-Bresson, R.Doisneau, W.Ronis, Izis...

Historique
On peut définir la photo humaniste en ce qu'elle privilégie la personne humaine et sa relation avec son milieu. Mais il n'y a pas vraiment d'école humaniste : tous les artistes manifestent une tendre empathie pour le sujet, mais leurs styles et leurs intentions sont divers. Ils restent lucides, et l'ironie, la moquerie voire la critique ne sont pas absentes.
La photo humaniste connait ses prémices dans les années 1930. Elle s'inscrit en rupture des avant-gardes et des recherches esthétiques liées au cubisme et au surréalisme. Brassaï et Kertesz exaltent la nature humaine et témoignent de la vie parisienne avant la seconde Guerre Mondiale.
La photographie humaniste explose dans les années 1945-50 avec Cartier-Bresson, Ronis et Doisneau. Ces artistes travaillent dans un contexte historique indissociable de leur oeuvre et très complexe. La libération suscite un extraordinaire climat d'euphorie, mais la France est ruinée : les moyens de production et les voies de communication sont détruits ou hors d'usage, la démographie est catastrophique. Le pays se reconstruit grâce à l'aide financière des USA puis au plan Marshall, mais la crise du logement est dramatique et l'hiver 1954 voit l'engagement militant de l'Abbé Pierre en faveur des plus pauvres. Les conflits sociaux et bientôt les guerres coloniales assombrissent l'horizon avec en arrière-fond l'antagonisme Est/Ouest et la "guerre froide".
La jeunesse réagit à l'inquiétude ambiante grâce à la musique, la poésie, la littérature et la controverse philosophique... Ainsi au sortir de la guerre, la photo humaniste illustre dans le monde paysan comme  dans le monde urbain le quotidien ordinaire et les plaisirs simples, sans éluder pauvreté et tristesse.




Comment s'est diffusé le charme si séduisant de la photo humaniste?
La plupart des photographes sont affiliés à des agences aux idéaux progressistes : Rapho et Magnum et travaillent sous contrat pour des organismes nationaux(Commissariat au Tourisme par exemple) qui orientent leur objectif vers l'illustration de l'identité française de l'après-guerre. Ils fixent avec pittoresque les aspects caractéristiques de Paris et des parisiens.
En outre, se créent alors les grandes institutions internationales(ONU, UNESCO, OMS) tandis que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme est promulguée en 1948 au Palais de Chaillot et que l'Europe se construit avec le Traité de Rome en 1957.
Ainsi les photographes humanistes vont traduire en images visibles et compréhensibles par tous l'espoir d'une paix durable entre tous les hommes et tous les peuples au delà des frontières et des diversités culturelles. Les reportages qu'ils publient et exposent ont un rôle pédagogique. Les photographes humanistes ont essentiellement travaillé pour la presse, les revues, les livres et les albums pour la jeunesse. La presse est en plein essor, c'est alors le principal média d'information, d'opinion et de loisir. Notons que la demande étrangère(américaine surtout) en iconographie et documents sur la France est très importante.

Redécouvrons avec plaisir la génération des photographes humanistes
Tous ont une formation ou une culture artistique : beaucoup sont dessinateur, peintre, graveur... On les nomme "reporters-illustrateurs". Ils travaillent quasi exclusivement en noir et blanc et connaissent parfaitement le cadrage, l'usage de la lumière et des contrastes, l'organisation des formes et des volumes, la mise en valeur des détails qui permettent de capturer un aspect du monde riche de signification.
Les thèmes qu'ils développent ont pour cadre les lieux de vie : la rue, les jardins publics, les cafés, les foires et fêtes foraines, les bals populaires où règnent convivialité et bonheur...


Le décor et l'environnement du sujet sont aussi importants que celui-ci et caractérisent le "réalisme poétique" décrit par Claude Nori : ce sont les rues pavées, les bas-fonds, les ponts et les quais de Seine, la brume, la neige, la flânerie dans la grande ville, les personnages typiques, la quête de "l'instant de grâce"...

On retrouve cette thématique dans les chansons populaires, le cinéma, la littérature(Prévert, Piaf, Gréco, Mac Orlan).
Enfin, il faut souligner l'éthique caractéristique qui préside à la photo humaniste : l'absence de voyeurisme, de sensationnel, le refus de se complaire dans la contemplation du malheur, de la douleur du malsain. W.Ronis explique : "je ne suis jamais tenu d'accepter des sujets qui heurtent ma conscience. Je n'ai jamais poursuivi l'insolite, le jamais vu, l'extraordinaire, mais bien ce qu'il y a de plus typique dans notre vie de tous les jours".
La photo est le moyen de dévoiler le monde, de capter la réalité telle qu'elle est, de partager l'amour des autres et d'établir une relation avec le sujet. La photo prise sur le vif, dépouillée, et dont le hasard est le maître d'oeuvre permet de rendre hommage au sujet.


Enfin, certains artistes avouent l'aspect subjectif de leurs prises de vue. Elles peuvent traduire leur univers personnel, représenter de "véritables autoportraits"(Ronis), ou"montrer le monde tel qu'on aimerait qu'il soit en permanence"(Doisneau).

A la fin des années 1960 la photo humaniste et le reportage disparaissent au profit de l'image unique : image choc, brutale, agressive, livrant le spectacle de la barbarie et de la mort sans tabou. L'humain est alors, bien souvent, présenté abandonné, misérable dans une situation tragique et un déferlement de violence. La "vérité humaine ordinaire" chère aux photographes humanistes n'est plus d'actualité, c'est l'horreur de la condition humaine qui s'affiche!

Les photos présentées ici sont de Jean-André Halin très inspiré et fasciné par la photo humaniste. Elles mettent en exergue l'être humain dans sa vérité quotidienne ordinaire qui est la ligne directrice de la photo humaniste.

Marie vous parle photos
photographe : Jean-André Halin

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