L'image insolite se rencontre dans de nombreux travaux photographiques mais sa réalisation et sa finalité sont très diverses selon les artistes.
Les photographes humanistes, souvent photo-reporters, travaillent en noir et blanc, privilégiant l'instantané ( "l'instant décisif" de H.C.Bresson ), avec une économie de moyens. Cadrages étudiés, points de vue originaux, gros plans sur les détails remarquables, angles inattendus nous permettent de mieux voir, ou de voir différemment le monde. C'est le but de S.Salgado, humaniste engagé : il nous montre les populations souffrantes de par le monde et la beauté fragile de la nature de plus en plus exploitée et meurtrie. La superbe patte de son Iguane marin des Galapagos en 2004 évoque de prime-abord une main gantée, et en 1982 la tête en gros plan du paysan indien du Brésil, ivre après une cérémonie festive, n'a pas une chevelure hirsute : l'homme se repose dans une peau de mouton!
D'autres artistes, n'appartenant pas spécifiquement au courant humaniste, nous apprennent à être impressionnés par le banal quotidien :
E.Weston étudie les textures de surface, traduit les riches nuances de blanc/noir avec précision et réalisme ainsi que l'essence des choses et la "force vitale" qu'elles dégagent. C'est la feuille de chou qui peut paraître une chevelure en 1931, les pierres et le poivron qui évoquent des formes organiques ( tête de poisson pour les pierres, corps humain ou animal pour le poivron ) en 1930.
En 1935, la locomotive russe d'Arkadi Schaichet fait irruption la nuit dans un nuage de fumée et figure une tête monstrueuse. En 1960, Heinz Held écrit la "magie du banal" et exclut tout spectaculaire et toute dramatisation : il fait le portrait de W.Fleckhaus derrière une sculpture d'Henry Moore en 1953 : les yeux et le nez de W.F. sont visibles dans le creux du bras gauche de la statue de Moore qui figure une femme allongée. Certes montre des images insolites obtenues avec des procédés très simples : la fourchette ( 1928 ) posée au bord de l'assiette est source de deux ombres : celle des dents se projette dans l'assiette et une autre ombre figure une deuxième fourchette posée sur la table. De même, Alfred Wols, sans manipulation de l'appareil photo, ni nouvelle technique, représente son univers marqué par la solitude et la tristesse en photographiant des oiseaux morts écorchés, une poupée cassée dans un caniveau par juxtaposition d'objets dépareillés provoquant ainsi des images insolites...
Il faut aussi évoquer les artistes d'inspiration surréaliste : P.Halsman travailla avec Dali et transposa les idées du peintre dans le langage de la photo. En 1950, la photo "le Nu du Crâne de Dali" est constituée par des femmes nues disposées les unes contre les autres qui figurent les os du crâne et les dents. H.List (1937) organise des rapprochements insolites entre des choses étrangères entre elles ou déconnectées de la réalité, d'où des phénomènes "magiques". Il utilise aussi le miroir qui renvoie dos à dos la réalité et le reflet, soit deux personnages différents, homme et femme. Man Ray donne le ton avec "Kiki violon d'Ingres" vue de dos en 1924 et la "Comtesse Casati", tête aux contours flous, aux immenses yeux dédoublés avec deux paires de pupilles brillantes.
Enfin, nous ne ferons que citer les procédés techniques largement utilisés dans la photo expérimentale et qui sont toujours à l'origine d'images étranges : photomontages, superpositions de tirages en négatif, solarisation, mélanges de formes géométriques et de paysages naturels, collages, cadrage très serré orientant l'oeuvre vers l'abstraction... Ainsi se créent des univers surréels, irréels et fantasmagoriques!
Jean André Halin a su capter l'insolite dans le réel et nous engage à exercer notre regard sur le monde qui offre une infinie variété d'images et d'interprétation de celles-ci. J'espère que vous prendrez plaisir à scruter "l'image dans l'image".
Marie vous parle photos
Photos : Jean André Halin
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